Typologie des structures interrogatives en amazighe

Doctorant
FLSH, USMBA, Saïs - Fès
Maroc

Introduction :

L’objet du présent travail est de présenter une typologie détaillée des diverses structures interrogatives attestées en amazighe, en nous basant sur les données exposées dans des travaux antérieurs, notamment (Penchoen 1973), (F. Ennaji 1982) et (Bouylmani 1998), entre autres. Dans la langue amazighe comme la pluparts des langues naturelles on distingue entre : les questions qui requièrent une réponse par oui/non (QON), dites aussi questions totales par ce qu’elles portent sur l’ensemble de la phrase et les questions qui nécessitent une réponse explicative, elles sont dites questions partielles car elles portent sur un constituent précis de la phrase. Ces dernières sont introduites par une particule interrogative, pour cette raison nous allons appeler celles-ci (questions-m) en s’inspirant de (M. Ennaji 1989) et (Bouylmani 1998) qui ont fait le même choix à l’instar de Wh-questions de l’anglais.

Premièrement, nous exposerons les différents types des QON qui peuvent être marqués par l’intonation ou introduites par la particule interrogative, ensuite nous passons aux questions-m positives et négatives, enfin nous distinguerons entre les questions directes et indirectes dans les deux types (à savoir les QON et les questions-m).

  1. Les questions oui/non (QON)

Dans les différentes langues naturelles, les QON sont généralement marquées par quatre outils d’ordre : morphologique, syntaxique, phonologique ou par l’insertion d’une particule interrogative. Les questions marquées morphologiquement n’existe pas en amazighe, elles se trouvent dans des langues comme l’eskimo et le coréen[1]. La même chose pour les questions marquées syntaxiquement, qu’on trouve dans l’anglais et le français, où l’inversion sujet-verbe vient marquer l’interrogation et l’ordre SVO change alors en VSO, comme le montrent les exemples suivants :

(1)          a. Alex is sad.

  1. Is Alex sad? (Ang)

(2)          a. Tu viens demain.

  1. Viens-tu demain ? (Fr)

Quant aux deux derniers aspects, à savoir phonologique et l’insertion des particules interrogatives, ils seront traités par la suite.

1.1. QON par intonation

L’outil phonologique le plus commun pour distinguer un énoncé interrogatif d’un déclaratif est l’intonation (montante). Plus de 100 langues ont une intonation particulière pour marquer un énoncé comme une QON (Dryer 2011).

D’autres langues emplois l’intonation dans des contextes restreints ou n’utilisent plus l’intonation. (Hirst 1998) note que dans l’anglais britannique (British English) l’intonation (montante) indique plutôt la surprise, l’anglais britannique comme le suédois et le finlandais n’ont donc pas de questions par intonation. L’amazighe, par contre, fait partie des langues qui bénéficient de cet outil. Considérons les exemples suivants :

(3)          a. ṯiwešša ?

                 demain

                 « Est-ce demain ? »

  1. izeddaγ ḏi wejda ?

                 il+habiter+inac dans Oujda

                 « Il habite à Oujda ? »

  1. ṯenniḏ as x umešri i nssumw nhara ?

                 tu+dire+ac lui sur le+repas que nous+préparer+ac aujourd’hui

                 « Tu lui as raconté qu’est-ce-que nous avons préparé au repas      aujourd’hui ? »

Dans les exemples (3a), (3b) et (3c), on n’observe aucun marqueur interrogatif. Seule l’intonation indique qu’il s’agit d’une question et non pas d’une phrase déclarative. Ce type d’interrogation par intonation est compatible avec des énoncés verbaux (3b), (3c) et non verbaux (3a), il ˝s’emploie particulièrement, mais non exclusivement, lorsque le locuteur est à peu près certain de la réponse qu’elle soit positive ou négative˝ Bouylmani (1998 : 874).

1.2. QON introduites par une particule interrogative

Dans les langues naturelles qui utilisent une particule pour marquer les QON, cette particule apparaît dans l’une ou plusieurs des trois positions de phrases : i) initiale comme dans (4) de l’arabe standard, ii) centrale en finlandais (exemple (5)) et iii) finale comme le cas du japonais illustré par (6).

(4)          hal tašrabu lqahwata ?

              est-ce+que tu+bois le+café

              « Est-ce que tu bois du café ? »  (AS)

 (5)         sataa ko ulkona ?

              Pleut+il est-ce+que dehors

              « Est-ce qu’il pleut ? »  (Fin)

(6)          are wa Fujisan desu ka ?

              cela est Fuji+mont est-ce+que Inter.

              « Est-ce que cela est le mont Fuji ? »  (Jap)

       Les particules qui formes les QON en amazighe sont principalement ma et is (est-ce que), comme dans les exemples suivants :

(7)          a. ma ddarn ?

                 est-ce+que ils+vivre+ac

               « Est-ce qu’ils sont vivants ? »

  1. is ifta ?

                 est-ce+que il+partir+ac

                 « Est-il partie ? »

(8)          a. ma d aryaz ?

                 est-ce+que c’est homme

                 « Est-ce l’homme ? »

  1. is d umam ?

                 est-ce+que c’est ton+frère

                 « Est-ce ton frère ? »

(9)          a. ma d aziza ?

                 est-ce+que c’est bleu

                     « Est-ce le bleu ? »

  1. is d amllal ?

                 est-ce+que c’est blanc

                 « Est-ce le blanc ? »

(10)        a. ma d šekk ?

                   est-ce+que c’est toi

                   « Est-ce toi ? »

  1. is d nkk ?

                   est-ce+que c’est moi

                    « Est-ce moi ? »

(11)        a. ma snnež ?

                   est-ce+que en+haut

                   « Est-ce en haut ? »

  1. is ddaw ?

                   est-ce+que en+bas

                   « Est-ce en bas ? »

Dans (7a-b) ma et is introduisent des phrases verbales. Dans (8a-10b) ils introduisent des phrases non verbales. ma et is sont compatibles avec le nom (8), le nom de qualité (9), le pronom (10), l’adverbe (11) et le numéral. Les interrogatifs is et ma sont toujours suivis par la particule prédicative d dans la phrase non verbale sauf quand ils s’emploient avec un adverbe.

Il faut noter que l’interrogatif is attire les pronoms personnels clitiques et les particules d’orientation d et n.

(12)        a. is d uškin ?

                   est-ce+que ici ils+venir+ac

                    « Sont-ils venus (ici) ? »

  1. is as tn ifka ?

                   est-ce+que lui les il+donner+ac

                        « Les lui a-t-il donnés ? »

Par contre, ma n’entraine aucune anticipation des pronoms personnels clitiques, ni des particules d’orientation.

(13)        a. ma yexḍer d ?

est-ce+que il+arriver+ac ici

« Est-il arrivé (ici) ? »

  1. ma yarra as t ?

                   est-ce+que il+rendre+ac lui le

                   « Le lui a-t-il rendu ? »

Alors que les exemples (7a-13b) au-dessus montrent que les interrogatifs ma et is ont la possibilité d’être à l’initial, seul ma apparait en position finale. Les phrases (14a) et (15a) sont grammaticales, tandis que (14b) et (15b) sont agrammaticales :

(14)        a. yawweḥ ma ?

              il+rentrer+ac est-ce+que

                   « Est-il rentré ? »

  1. * tugm is ?

                   elle+puiser+ac est-ce+que

                   « A-t-elle puisé ? »

(15)        a. šekk zi nnadu ma ?

                   toi de Nador est-ce+que

                   « Es-tu de Nador ? »

  1. * tssent Ali is ?

                   tu+connaître+ac  Ali est-ce+que

                   « Est-ce que tu connais Ali ? »

       Les interrogatifs ma et is apparaissent souvent en combinaison avec ša/kra et niγ/, ou en dédoublement quand il s’agit d’une interrogation double. Nous relevons donc les formes suivantes : maša, maniγ, iskra, is et mama, isis.

(16)        a. ma γarwm ša n rḥmu ?

                   est-ce+que vous+avoir+ac de la+chaleur

                    « Fait-il chaud chez vous ? »

  1. is illa kra n umaynu ?

                   est-ce+que il+être+ac de nouvelles

                    « Y a-t-il des nouvelles ? »

(17)        a. ma ṯẓumd niγ ?

                   est-ce+que tu+jeûner+ac ou

                   « Est-tu en jeûne (ou quoi) ? »

  1. is d askka nγ d assa ?

                   est-ce+que c’est demain ou c’est aujourd’hui

                   « Est-ce demain ou aujourd’hui ? »

(18)        a. ma i šekk ma i nešš ?

                   est-ce+que pour toi est-ce+que pour moi

                   « Est-ce pour toi ou pour moi ? »

  1. is idda, is ikšm ?

                   est-ce+que il+partir+ac est-ce+que il+entrer+ac

                   « Est-il parti ou est-il entré ? »

Il y a d’autres formes qui deviennent de plus en plus fréquentes. Ils s’agissent de øša et øniγ. Ces formes expriment l’interrogation sans faire appel aux interrogatifs qui dans ce cas ne sont nécessaires que pour répéter ou insister sur une question dans une conversation.

(19)        a. ṯeṭsad ša ?

                   Tu+dormir+ac

                    « As-tu dormi ? »

  1. mamš ?

                   comment

                   « Comment ? »

  1. ma ṯeṭsad ša ?

                   est-ce+que tu+dormir

                   « Est-ce que tu as dormi ? »

L’exemple (19c) est une répétition de la question (19a) que l’interlocuteur n’a pas entendue. Il faut noter que øniγ est compatible avec le verbe, le nom de qualité, le nom, le pronom, l’adverbe et le numéral. Cependant øša n’est compatible qu’avec le verbe et le nom de qualité.

(20)        a. šekk niγ ?

                   toi ou

                   « Est-ce toi ? »

  1. * šekk ša ?

(21)        a. umaš niγ ?

                   frère+ton ou

                   « Est-ce ton frère ? »

  1. * umaš ša ?

1.3 QON négatives

La négation en amazighe se fait par le morphème de négation war[2], qui occupe toujours une position préverbale. Les QON négatives gardent la même structure que leurs correspondantes positives, le morphème de négation se place à l’initial dans les QON par intonation (22) et suit directement l’interrogatif quand il s’agit d’une QON par particule interrogative (23). Ces questions négatives expriment la demande comme elles peuvent aussi exprimer le doute dans l’exemple (23) ou la surprise dans (22).

(22)        war yemriš ?!

              ne+pas il+marier+ac

              « Je ne crois pas qu’il n’est pas marié ?! »

(23)        ma war yeffir ?!

              est-ce+que ne+pas il+sortir+ac

              « Je pense qu’il est sorti ?! »

En guise de récapitulation, nous avons montré que les QON en amazighe peuvent être marquées par l’intonation (montante) seulement, comme elles peuvent être introduites par des particules interrogatives qui sont principalement is et ma. Ces deux morphèmes interrogatifs ont les caractéristiques suivantes :

  • Ils introduisent des phrases verbales et non verbales.
  • Ils sont compatibles avec le nom, le pronom, le nom de qualité, l’adverbe et le numéral.
  • Ils apparaissent souvent mais pas obligatoirement, en combinaison avec ša/kra et niγ/nγ.
  • Le morphème is, contrairement à ma, entraine l’anticipation de pronoms personnels clitiques et des particules d’orientation spatiale.

Notons que, ces QON peuvent passer de la forme positive à la forme négative, en gardant leurs structures, par la simple adjonction du morphème de négation. Ce dernier se place au début des QON par intonation et directement après le morphème interrogatif dans les QON introduites par une des particules interrogatives.

  1. Les questions explicatives (questions-m)

Les questions explicatives, appelées aussi partielles diffèrent des QON en ce qu’elles portent sur un constituent spécifique de la phrase et provoquent une réponse explicative autre que oui/non. Ces questions sont construites avec des interrogatifs. Toutes les langues naturelles ont un ensemble de morphèmes interrogatifs caractérisant les questions explicatives, qui appartiennent généralement à des catégories différentes (les pronoms interrogatifs, les adverbes interrogatifs, les adjectifs interrogatifs, les verbes interrogatifs[3]). Il existe deux modèles communs aux langues pour la position des interrogatifs : i) en position initiale, tels-que l’anglais (24) ou l’arabe standard (25) et ii) en position finale comme le japonais en (26).

(24)        Where am I ?

              où suis je

              « Où suis-je ? »                                  (Ang)

(25)        man huwa lbadilu ?

              qui est le+remplaçant

              « Qui est le remplaçant ? »                 (AS)

(26)        Kore wa ikura desu ka ?

              ce est combien est-ce+que Inter.

              « Combien ça coûte ? »                      (Jap)

Les questions explicatives peuvent êtres positives comme le montrent les exemples (24-26), ou négatives comme il est illustré par (27) et (28).

(27)        Who Can’t Give Blood ?

              qui ne.pouvoir.pas donner sang

              « Qui ne peut pas donner du sang ? »  (Ang)

(28)        man lam yanžaḥ ?

              qui ne+pas il+réussir

              « Qui n’a pas réussi ? »                      (AS)

Dans cette section nous allons essayer d’exposer les caractéristiques des questions explicatives (questions-m) positives en amazighe. Quant aux questions-m négatives, elles présentent les mêmes caractéristiques des QON négatives. Pour cette raison, nous nous contentons de ce qui a été dit.

Tout comme en anglais et en arabe standard, les interrogatifs en amazighe occupent toujours la position initiale de la phrase, sauf pour certaines particularités que nous signalerons ultérieurement. Les catégories grammaticales auxquelles appartiennent ces interrogatifs ont été mentionnés auparavant, et c’est ainsi que les questions seront présentées ici selon les interrogatifs qui les introduits.

  1. i) Les pronoms :

Les pronoms interrogatifs fonctionnent comme des noms et partagent certaines de leurs compatibilités. Ils peuvent tous avoir la fonction de sujet, complément d’objet direct, indirect et complément circonstancielle.

(29)        a. wi iwṯin ?

              qui il+frapper+partic

              « Qui a frappé ? »                              (Sujet) 

  1. may ttegg yemmam ?

              que elle+faire+inac Mère+ta

              « Que fait ta mère ? »                        (Complément d’objet direct)

  1. u mi ṯewšiḏ aman ?

              qui à tu+donner+ac eau

              « À qui as-tu donné de l’eau ? »          (Complément d’objet indirect)

  1. ma s tunft tiflut ?

              quoi avec tu+ouvrir+ac porte

              « Avec quoi as-tu ouvert la porte ? »   (Complément circonstancielle)

Ces interrogatifs entrainent l’exclusion de l’indicateur du thème, en plus de l’anticipation des pronoms personnels et des particules d’orientations spatiales.

(30)        a. min ṯesγa εiša ?

              que elle+acheter+ac Aicha

  1. * min εiša ṯesγa ?

              que Aicha elle+acheter+ac

              « Qu’a acheté Aicha ? »

(31)        a. wi t iksin ?

              qui la il+prendre+partic

  1. * wi iksin t ?

              qui il+prendre+partic la

              « Qui l’a pris ? »

Notons d’abord que le verbe qui suit les pronoms u et ma quand ils fonctionnent comme sujet prend la forme participiale (i_n). Ensuite que tous les pronoms interrogatifs peuvent être utilisés pour se référer aux humains et non-humains à l’exception de min qui est [- humain]. Enfin, tandis que tous les interrogatifs se placent à l’initiale, nous avons relevé un cas particulier illustré par (32-33), où l’interrogatif se place en finale. Il s’agit du pronom mi qui, d’une part et contrairement aux autres interrogatifs, n’apparaît jamais au début de la phrase, d’autre part il remplit toujours la fonction complément d’objet direct.

(32)        a. ifka mi ?

              il+donner+ac quoi

  1. * mi ifka

              quoi il+donner+ac

              « Qu’a-t-il donné ? »             (Complément d’objet direct)

(33)        a. tesγa εiša mi ?

              elle+acheter+ac Aicha quoi

  1. * mi tesγa εiša ?

              quoi elle+acheter+ac Aicha

              « Qu’a acheté Aicha ? »         (Complément d’objet direct)

  1. ii) Les adverbes :

Les adverbes interrogatifs à l’inverse des pronoms, ne fonctionnent pas comme des noms. Ils sont utilisés comme des formes adverbiales, mais jamais comme sujets ou compléments :

(34)        a. milmi iγra lktab ?

              quand il+lire+ac livre

              « Quand a-t-il lu le livre ? »

  1. mnšk iswa uγrum ad ?

              combien il+coûter+ac EA+pain ce

              « Combien coûte ce pain ? »

En outre, ils excluent l’indicateur de thème et entraine l’anticipation des particules d’orientation et des pronoms personnels, tout comme les pronoms interrogatifs :

(35)        a. mamnk as iskr Lahsen ?

              comment à+lui il+faire+ac Lahsen

              « Comment Lahsen l’a-t-il fait ? »

  1. * mamnk Lahsen as iskr ?

              comment Lahsen à+lui il+faire+ac

              « Comment Lahsen l’a-t-il fait ? »

(36)        a. mani d ṯusa ?

              où vers+ici elle+venir+acc

              « Où est-elle venu (vers ici) ? »

  1. * mani ṯusa d ?

              où elle+venir+acc vers+ici

              « Où est-elle venue (vers ici) ? »

Les adverbes interrogatifs, peuvent, à eux tout seuls, constituer une question comme le montre l’exemple (37) :

(37)        a. may ?

              « Où ? »

  1. mism ?

              « Comment ? »

  1. mnšk ?

              « Combien ? »

Les adverbes interrogatifs de quantité diffèrent des autres dans la mesure où ils sont compatibles avec les noms. Ils sont suivis, mais pas obligatoirement, de la préposition génitive n lorsqu’ils déterminent un nom (38) et des focalisateurs ad et ay/a lorsqu’ils s’emploient avec un verbe (39). Ces interrogatifs sont invariables à l’exception de mnnaw qui s’accord en genre avec le nom qu’il détermine (40) :

(38)        a. mšta n yewḏan ?

              combien de EA+personnes

              « Combien de personnes ? »

  1. mešḥar ṯazarṯ ?

              combien figue

              « Combien les figues ? »

(39)        a. mšḥal ay jin yirdn ?

              combien c’est ils+faire+ac blé

              « Combien vaut le blé ? »

  1. šḥal ihwa ?

              combien il+descendre+ac

              « Combien il est descendu ? »

(40)        a. mnnaw wussan ?

              combien EA+jours

              « Combien de jours ? »

  1. mnnawt tmγarin ?

              combien EA+femmes

              « Combien de femmes ? »

iii) Les adjectifs :

Les adjectifs interrogatifs man et matta sont invariables. En d’autres termes, ils ne s’accordent ni en genre ni en nombre. Ces adjectifs peuvent être suivis par un nom (41a) ou un pronom (41b), mais jamais par un verbe (41c).

(41)        a. matta taγawsa lli tsiggilt ?

              quel chose que tu+chercher+ac

              « Quelle est la chose que tu cherches ? »

  1. man wen daysen ?

              quel celui entre+eux

              « Lequel d’entre eux ? »

  1. * matta tannayt Mohammed ?

              quel tu+voir+ac Mohammed

              « Quel Mohammed as-tu vu ? »

  1. * man ?

              « Quel ? »

  1. * matta ?

              « Quel ? »

L’agrammaticalité de (41d) et (41e) montre que les adjectifs interrogatifs n’apparaissent jamais seul.

  1. Les questions directes et indirectes

Jusqu’à présent, nous n’avons parlé exclusivement que des questions directes. Il est important d’ajouter que ces questions ont la structure interrogative d’une phrase indépendante, dans le sens où elles fonctionnent en autonomie, et ne dépendent d’aucune autre proposition, comme dans (42) :

(42)        mani irwl ?

              où il+fuir+ac

              « Où s’est-il enfui ? »

Par contre, les questions indirectes sont des phrases, où la structure interrogative est enchâssée dans une autre proposition principale. Comparons l’exemple (42) ci-dessus avec (43) :

(43)        seqsa mani irwl !

              Demander+imp+2sg où il.fuir

              « Demande où il s’est enfui ! »

On remarque qu’à l’opposé de (42), la question dans (43) est précédée du verbe seqsa dont elle en est le complément. D’ailleurs, la phrase principale qui constitue la question indirecte est toujours un énoncé verbal, formé avec des verbes appartenant à une classe limitée (nous y reviendrons).

(44)        a. xẓaṛ ma ffγen !

              regarder+imp+2sg est-ce+que ils+sortir+ac

              « Regard est-ce qu’ils sont sortis ! »

  1. nniγ as ma ṯusmeḏ !

              je+dire+ac à+lui est-ce+que tu+être jaloux+ac

              « Je lui ai dit est-ce que tu es jaloux ! »

Notons que l’intonation des questions directes diffère de celles des questions indirectes. Alors que les premiers se caractérisent par une intonation montante, ces derniers ont une intonation descendante. Ceci implique que l’utilisation des interrogatifs dans les QON est obligatoire comme le montre l’exemple (45) :

(45)        a. raεa is idda !

              regarder+imp+2sg est-ce+que il+partir+ac

              « Regard s’il est partis ! »

  1. * raεa idda !

              regarder+imp+2sg il+partir+ac

              « Regard s’il est partis ! »

Les questions indirectes sont utilisées pour demander ou poser une question d’une manière indirecte (46a) ou comme forme de politesse (46b) :

(46)        a. ini yi ma irzan šrjam.

              dir+imp+2sg à+moi qui il+casser+partic fenêtre

              « Dis-moi qui a cassé la fenêtre ! »

  1. εafak, ini yi mani tella lmaḥṭa ?

              s’il+vous+plaît dir+imp+2sg à+moi où elle+être+ac gare

              « S’il vous plaît, dites-moi où est la gare ! »

Pour réitérer ou insister sur question que l’interlocuteur n’a pas entendue ou dont il veut esquiver la réponse, on emploie des structures comme (47) :

(47)        nniγ aš ma ṯkemmraḏ !

              Je+dire+ac à+toi est-ce+que tu+finir+ac

              « Je t’ai demandé si tu as fini ! »

              Ou pour rapporter une question (48) :

(48)        ṯnna aš yemma ma ad ṯššaḏ.

              elle+dire+ac à+toi mère+ma est-ce+que tu+manger+ao

              « Ma mère te demande si tu veux manger. »

Les verbes supports des questions indirectes appartiennent à une classe limitée. D’une manière générale, ils expriment l’interrogation ou l’incertitude comme seqsa (demander). D’autres verbes comme ini (dire), xẓaṛ, raεa (regarder), représentent certainement une notion claire de l’interrogation quand ils sont utilisés avec les questions indirectes, même s’ils ne traduisent pas intrinsèquement cette notion.

˝The list of verbs which take INT CCs is interesting : apart from clearly interrogative verbs like sqsa (ask), most of the other verbs are non-assertive˝ (Sadiqi 1986 : 212)

D’après cette citation, l’auteur nous dit que la majorité des verbes utilisés avec les questions indirectes n’implique pas la notion d’interrogation. Ces verbes mêmes s’emploient avec les complétives déclaratives. Ceci nous mène à signaler qu’il ne faut pas confondre les questions indirectes avec les complétives déclaratives, puisque les premiers expriment une demande, alors que les deuxièmes sont une déclaration.

(49)        εliγ mani illa.

              voir.je où il.être

              « J’ai vu où il est. »

(50)        εlu mani illa !

              toi.regarder où il.être

              « Regarde où il est ! »

L’exemple (49) est une déclaration que le locuteur connaît l’information, alors que dans (50), le locuteur demande une information d’une façon indirecte. Même s’il les deux phrases contiennent l’adverbe de lieu mani (où) et le verbe εlu (regarder). Pour plus d’illustration considérons ces exemples empruntés à Gross (1968 : 160) :

(51)        a. Jean lui demande (comment + quoi) faire.

  1. Jean lui dit (comment + quoi) faire.

En français ces deux phrases sont clairement différentes, l’exemple (51a) est une question, alors que (51b) est une déclaration. Le rôle des verbes demander et dire ici est évident. Le premier étant un verbe de demande et le deuxième verbe d’ordre (Roulet 1978 : 448), on comprend qu’avec ˝demande c’est Jean qui est le sujet de faire, alors qu’avec dit, c’est le pronom lui qui est le sujet de faire˝ Gross (ibid.). Maintenant considérons les phrases correspondantes amazighes de (51) :

(52)        a. seqsa Ahmed (mamš + min) γa negg !

              demander+imp+2sg Ahmed (comment + quoi) faire.

              « Demande à Ahmed (comment + quoi) faire ! »

  1. innaš Ahmed (mamš + min) γa negg.

              il+dire+ac Ahmed (comment + quoi) faire.

« Ahmed vous a dit (comment + quoi) faire. »

Les phrases en (52) peuvent être interprétées de manières différentes, (52a) est une question, alors que (52b) est une déclaration, comme nous l’avons vu dans (51). Sauf que (52b) accepte aussi une autre interprétation, elle peut être comprise comme question rapportée (Ahmed vous demande (comment + quoi) faire.). Dans ce cas-là, le verbe seul ne suffit pas pour interpréter la phrase. C’est le contexte qui joue rôle important pour enlever l’ambiguïté.

Conclusion

Dans cet article, nous avions comme principal objectif de présenter une brève typologie des interrogatives dans la langue amazighe. D’abord nous avons montré que les QON peuvent être marqués par l’intonation seulement. Par ailleurs, les QON sont introduites par les particules interrogatives is et ma, qui occupent toujours la position initiale de la phrase interrogative. Ces QON qui portent sur la totalité de l’énoncé sont dites questions totales et nécessitent une réponse par oui ou non. Elles sont positives ou négatives ; dans ce dernier cas, le morphème de négation vient se placer à l’initial dans les QON par intonation et directement après l’interrogatif dans les QON introduites par particule.

       Ensuite, nous avons traité les questions partielles qui contrairement aux questions totales (QON), ne portent que sur un seul constituant de la phrase et évoquent une réponse explicative autre que oui ou non. Ces questions explicatives se caractérisent par l’emploi d’un interrogatif en m-. Donc, elles sont appelées questions-m à l’instar des Wh-questions[4] comme nous l’avons mentionné. Les interrogatifs utilisés dans les questions-m sont réparties en trois classes : i) les pronoms interrogatifs fonctionnant comme des noms. Ils excluent l’indicateur du thème, attirent les pronoms personnels et les particules d’orientation et peuvent avoir les fonctions de sujet, complément d’objet direct ou indirect ou complément circonstanciel ; ii) les adverbes interrogatifs sont utilisés comme formes adverbiales, mais jamais comme sujets ou compléments. Ils entrainent eux aussi l’anticipation des pronoms personnels et excluent l’indicateur du thème. Les adverbes diffèrent des pronoms dans la mesure où ils peuvent à eux seul constituer un énoncé ; iii) les adjectifs interrogatifs. Cette classe ne comporte que deux interrogatifs. Il s’agit de matta et man. Les deux sont invariables en genre et en nombre, ils ne peuvent être suivies que d’un nom ou pronoms et n’apparaissent jamais seul.

Puis, nous avons comparé les questions directes et indirectes. Les premiers sont des phrases indépendantes caractérisées par une intonation montante. Quant aux deuxièmes, elles sont des structures constituées d’une interrogative subordonnée à une proposition principale formée avec un verbe tiré d’une classe limité. Leur intonation est descendante et la présence d’un interrogatif dans les questions indirectes est obligatoire.

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الإحالات:

  1. [1] Cf. Dryer (2011)
  2. [2] Les variantes de war sont : wa, u et ur.
  3. [3] Cf. Dryer (2011 : chapitre 93).
  4. [4] En anglais, la majorité des morphèmes interrogatifs commencent par wh- (who, what, when…etc). Les questions introduites par ces morphèmes sont dites Wh-questions.
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