Culture et Socio-Psychologie : perspectives croisées

Formatrice de Communication et Soft Skills à l’OFPPT et doctorante à l’université Mohammed V Souissi de Rabat
MAROC

Introduction

De nos jours, la notion de culture est devenue omniprésente, en raison de la mobilité croissante des populations à travers le monde et des systèmes de croyances et de représentations culturelles qu’elles apportent avec elles. Cette omniprésence de la culture est également due à la diversité des rôles qu’elle joue dans la société. Il est évident que les contextes culturels actuels sont caractérisés par leur pluralité et leur mobilité. Par conséquent, la notion de culture suscite un intérêt considérable parmi les chercheurs de diverses disciplines, notamment la sociologie et la psychologie sociale.

Carmel Camilleri, qui est l’une des figures emblématiques de la psychologie interculturelle en France, a contribué à clarifier les différentes approches de la relation entre culture et psychologie. Il a identifié plusieurs distinctions dans ce domaine, notamment :

  • Psychologie monoculturelle” : Cette approche se concentre sur l’étude de la relation entre le psychisme et la culture au sein d’une seule culture spécifique.
  • “Psychologie interculturelle” : Cette approche se focalise sur les processus d’interaction impliquant plusieurs cultures. Elle cherche à comprendre comment les individus de différentes cultures interagissent et se comprennent mutuellement.
  • “Psychologie culturelle comparative” : Cette approche implique des observations et des comparaisons entre différentes cultures pour comprendre les différences et les similitudes dans les comportements et les attitudes.
  • “Psychologie culturelle” : Cette catégorie englobe l’ensemble des études de psychologie qui prennent en compte la variable culture, sans se limiter à une seule culture. Elle s’intéresse à la manière dont la culture influence le psychisme de manière générale.

De manière plus générale, la perspective contemporaine de la culture en psychologie sociale repose sur l’idée que la culture doit être partagée de manière collective, qu’elle est enracinée dans la société et qu’elle perdure dans le temps. Cette vision accorde une grande importance aux valeurs et aux croyances, car elles influencent les comportements individuels et occupent une place centrale dans la formation des représentations sociales.

  1. Les approches psychosociologiques

Les approches psychosociologiques sont un domaine de la psychologie qui combine des éléments de la psychologie sociale et de la psychologie individuelle. D’une manière globale, les approches psychosociologiques se penchent sur la manière dont les comportements, les pensées et les émotions sont influencés par les interactions entre les individus, ainsi que par les interactions entre les individus et leur environnement social. Ces approches visent à comprendre les mécanismes cognitifs qui jouent un rôle significatif dans la formation des comportements (comme les représentations, les stéréotypes et les attributions), à analyser la nature des relations interpersonnelles (qu’il s’agisse de compétition, de coopération ou de domination), et à explorer comment ces éléments sont liés au développement et à l’apprentissage des individus.

  1. La psychologie interculturelle comparative

La psychologie interculturelle comparative fait référence à l’étude des différences observées par les chercheurs lorsqu’ils comparent des individus provenant de communautés culturelles différentes, en mettant l’accent sur les aspects culturels de ces différences.

En effet, la terminologie est utilisée pour décrire les recherches sur la relation entre le psychisme et la culture, tels que la psychologie culturelle, culturaliste, transculturelle, interculturelle, comparative, varie et manque de consensus précis. En outre, cette variété de termes reflète des choix méthodologiques et épistémologiques divergents, ainsi que des traditions nationales distinctes dans le domaine des sciences humaines.

Pour clarifier ce qu’implique la recherche interculturelle, le terme s’applique à trois situations selon Dasen :[1]

  • L’étude se concentre sur un phénomène présent au sein d’une culture, où le chercheur examine l’influence de la culture sur ce phénomène ou l’interaction entre le phénomène et la culture.
  • L’étude vise à comparer le même phénomène dans plusieurs cultures différentes.
  • L’étude se penche sur les processus découlant de la rencontre entre des individus de différentes origines culturelles.

Dans son ouvrage, Dasen identifie trois types d’études qui peuvent correspondre, du moins en partie, à trois approches disciplinaires distinctes :

  • La première approche relève de domaines tels que l’ethnologie, la sociologie, et la psychologie culturelle. Il s’agit de l’approche émique, qui se concentre sur les individus et leurs caractéristiques dans le contexte de la psychologie culturelle comparée.
  • La deuxième approche se base sur la méthode comparative, qui permet de comparer différentes cultures et sociétés pour analyser leurs similitudes et différences.
  • La troisième approche concerne la psychologie sociale de l’interculturation, qui se penche sur les interactions entre individus de cultures différentes et étudie les phénomènes qui en découlent.

Dans l’approche de la psychologie culturelle comparative, les comparaisons entre les cultures sont considérées comme difficiles mais réalisables moyennant certaines précautions méthodologiques. On cherche les caractéristiques universelles du psychisme au niveau des structures profondes ou des compétences, tandis que les variations entre les cultures et/ou les individus se situent davantage au niveau des phénomènes de surface ou des performances.

  1. La psychologie sociale et culturelle

La psychologie sociale est une sous-discipline de la psychologie visant à observer les comportements humains à travers leurs contextes sociétaux. Elle serait alors :

« […] au carrefour de l’individuel et du social. Si pour certains notamment dans la tradition anglosaxonne, elle étudie l’interaction du sujet avec autrui, pour d’autres, la psychologie sociale est « la science du conflit entre l’individu et la société » ». [2]

Les origines du concept de culture en psychologie sont marquées, comme dans les autres disciplines, par certaines philosophies. Ainsi, à la suite des Lumières et de leurs détracteurs, Wilhelm Von Humbolt, un philosophe prussien, est à l’origine d’une nouvelle perception de l’esprit humain. En effet, ses analyses comparatives linguistiques avaient pour but d’explorer la psychologie humaine en interprétant la langue « non seulement comme un indicateur d’une certaine mentalité, mais comme un de ses facteurs constitutifs ou même comme un de ses synonymes ». Il a alors développé un postulat selon lequel les locuteurs d’une même langue partageraient une même perception, une même subjectivité. Cette idée trouvera un héritage, non seulement en psychologie, mais aussi en anthropologie à travers la très discutée hypothèse « Sapir-Whorf ». Selon cette hypothèse : « la langue organise notre vision du monde, sélectionne des aspects de l’expérience et sert à catégoriser cette expérience ». [3]

Ce point de vue est en réalité majoritairement attribuable à Benjamin Lee Whorf, pour qui la catégorisation de l’expérience implique une réalité « unique » de celle-ci selon les langues et des représentations et savoirs culturellement dépendants.

  1. La psychologie des contacts interculturels

La psychologie des contacts interculturels se concentre sur l’analyse des interactions entre individus issus de cultures différentes, explorant les dynamiques psychologiques, les processus cognitifs et les comportements qui surgissent lors de ces rencontres. Contrairement à l’approche béhavioriste qui a dominé la psychologie sociale pendant longtemps et qui met l’accent sur l’impact direct de la situation sur l’individu, la psychologie des contacts interculturels accorde une grande importance à l’influence, constituant ainsi l’un des axes de recherche les plus prolifiques de ce domaine, qu’il s’agisse de soumission à l’autorité, de changement d’opinion, de socialisation ou d’autres aspects.

Cependant, lorsque les individus entrent en contact avec un nouvel environnement culturel, cela peut avoir un impact significatif sur leur identité, leurs attitudes et leurs comportements. L’intégration dans une nouvelle société peut être difficile pour les migrants, qui réalisent souvent à quel point les habitudes culturelles diffèrent de celles de leur pays d’origine. En situation d’immigration, les individus sont confrontés à de nouvelles normes culturelles et doivent s’adapter aux codes de la société d’accueil. Cependant, chacun réagit différemment à cette contrainte. Alors que certains s’adaptent aisément aux attitudes et aux comportements de leur nouveau pays, d’autres rencontrent des difficultés, en raison de leur attachement profond à leur pays d’origine.

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En revanche, le niveau culturel groupal peut jouer un rôle important dans la manière dont les contacts interculturels sont perçus, interprétés et vécus par les individus, en influençant leurs attitudes, leurs émotions et leurs comportements lorsqu’ils interagissent avec des personnes d’autres cultures.

Un cadre général de compréhension de la psychologique des contacts interculturels[4]

Le niveau culturel groupal (indiqué dans la figure ci-dessus) fournit des indications sur la nature des groupes qui interagissent. Ces groupes se distinguent donc par leur degré de mobilité et la volonté avec laquelle ils entrent en contact.

  1. Les stratégies d’acculturation

Le substantif « acculturation » semble avoir été créé dès 1880 par J.W Powel, anthropologue américain, qui nommait ainsi la transformation des modes de vie et de pensée des immigrants au contact de la société américaine. Le mot ne désigne pas une pure et simple « déculturation ». Dans le préfixe « a » n’est pas privatif ; il provient étymologiquement du latin ad et indique un mouvement de rapprochement. [5]

D’après sa conception, il n’est pas alors question uniquement d’une perte de sa culture d’origine, mais également de s’en approprier une autre nouvelle.

La notion d’acculturation, était particulièrement réactualisée notamment par John W. Berry, une des figures de la psychologie Interculturelle aux Etats-Unis. Selon lui, elle se produit lorsque « deux groupes culturels indépendants ont un contact direct de première main sur une longue période, résultant en des changements dans l’un ou les deux groupes culturels ».[6] Celui-ci l’a alors conceptualisée afin qu’elle prenne en compte aussi bien les changements culturels d’un groupe que ceux, plus psychologiques, des individus.

Dans le domaine de l’enseignement des langues étrangères, il y a bien un certain changement, mais il ne s’agit pas d’emprunt, d’assimilation de traits culturels ou d’acculturation telle qu’elle est pensée par les anthropologues. Il s’agit, plutôt, d’un processus « d’introspection culturelle » provoqué par l’enseignement : l’introspection oblige l’apprenant, dans un certain sens, à « faire le deuil » de sa manière de voir sa culture, lui permettant une rencontre avec la « suite » de lui-même, d’accepter l’évolution de son regard, de ses valeurs, jamais remises en question.

Il est important de souligner qu’un individu qui peut être aussi un apprenant peut adopter diverses stratégies d’acculturation, celles-ci peuvent varier en fonction des situations.

  1. La transmission culturelle

C’est au cours des années 30 que le mouvement de recherche sur la transmission culturelle a pris de l’ampleur grâce aux travaux de Margaret Mead et Ruth Benedict. Ces chercheurs ont avancé l’idée que la socialisation précoce des enfants avait le pouvoir de façonner des personnalités conformes à un modèle culturel spécifique à chaque société. Par exemple, ils ont remis en question l’idée que les différences de comportement entre les sexes étaient universelles, soulignant qu’elles étaient plutôt culturellement déterminées. Leur théorie, influencée en partie par la psychanalyse, a eu un impact sur l’importance accrue accordée aux influences de l’éducation et de la famille dans les sociétés occidentales.

Cependant, cette approche ne prenait pas suffisamment en compte le fait qu’une culture n’est pas complètement internalisée par les individus et qu’elle peut être sujette à des contradictions, des innovations et des emprunts. Comme le souligne N. Journet : «la culture est plus complexe que ce modèle initial ne le suggérait. » [7]

  1. Les modes de transmission culturelle

Il est nécessaire de souligner l’importance de la transmission culturelle dans le développement individuel. La culture, en tant qu’ensemble de significations collectives, a tendance à être transmise d’une génération à l’autre, comme indiqué par Camilleri (1985). Au fil de leur transition de l’enfance à l’âge adulte, les individus développent une compétence culturelle. Grâce à des processus de transmission tels que l’enculturation et la socialisation, l’enfant évolue progressivement pour devenir un adulte adapté à sa société. Selon Berry et al. (1992), la transmission culturelle s’effectue à travers trois voies distinctes :

  • La transmission verticale, associée à la socialisation au sein de la famille ;
  • La transmission horizontale, liée à l’influence des pairs ;
  • Et la transmission oblique, correspondant à la socialisation tout au long de la vie adulte de l’individu.[8]

Pendant les premiers mois de la vie, la transmission verticale occupe une place nodale, ce qui semble logique étant donné que le nourrisson est principalement confiné à l’espace familial. On pourrait supposer que la majeure partie de la transmission culturelle s’opère par cette voie. Cependant, les choses ne sont pas aussi simples. Si tel était le cas, il ne devrait pas y avoir de différences psychologiques marquées entre les enfants d’une même famille. Par ailleurs, il est fréquent de constater que des enfants élevés dans le même environnement familial se développent de manière distincte (Berry et al., 1992). Ainsi, la transmission horizontale joue également un rôle déterminant. Il est d’ailleurs difficile de déterminer clairement ce qui, dans les comportements et les attitudes des enfants, relève de l’une ou l’autre des voies de transmission. La transmission oblique souligne, quant à elle, que l’apprentissage culturel se poursuit tout au long de la vie, que ce soit lors de la transition vers l’université, l’intégration dans le monde du travail conduisant à l’assimilation de nouvelles normes, et d’autres étapes de l’existence.

  1. La gestion des émotions

Selon les mouvements théoriques relevant de la psychologie, l’émotion a été appréhendée de diverses manières. Dans une perspective physiologique, William James les avait définies ainsi : « Les changements corporels suivent immédiatement la perception du fait existant, et que le sentiment que nous avons de ces changements, à mesure qu’ils se produisent, est l’émotion ». [9]

Selon lui, les émotions interviennent après les changements physiologiques et ceux-ci sont les conditions de leur production. Elles seraient donc profondément reliées à la perception qu’ont les individus de divers phénomènes. Plus de cent ans plus tard, dans une perspective cognitiviste/fonctionnaliste, Nico Frijda évoquait en 1986 que « […] les émotions sont les tendances à l’action ». [10]Les émotions consisteraient alors selon lui à préparer l’action, dans une visée adaptative assurant la survie des espèces qui les ressentent.

Les émotions sont donc des expériences subjectives qui se manifestent à travers des réactions physiologiques, cognitives et comportementales. Les cultures jouent un rôle important dans la manière dont les émotions sont perçues, exprimées et régulées.

Dans certaines cultures, il peut exister des normes sociales explicites sur la façon dont les émotions doivent être exprimées. Par exemple, certaines cultures valorisent l’expression ouverte des émotions, encourageant les individus à exprimer librement leur colère, leur tristesse ou leur joie. Dans d’autres cultures, l’expression émotionnelle peut être plus modérée, avec une préférence pour la retenue et le contrôle de soi.

Conclusion

En effet, la conception de culture a beaucoup contribué à l’apparition des nouvelles réflexions sur l’enseignement/apprentissage des langues, notamment celles concernant les problématiques interculturelles. L’introduction de la dimension culturelle en didactique du FLE demeure alors, une réflexion engagée, favorisant la consolidation de la place de la culture en didactique des langues étrangères.

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  1.  Dasen P.R 2019, L’interculturel d’hier à demain : De la lente construction d’un champ épistémologique, éd. L’Harmattan, Paris, p.173-190

  2. Moser, G. 2006, Application de la psychologie sociale et psychologie sociale appliquée. Les cahiers internationaux de psychologie sociale, Numéro 70(2), p. 89.

  3. Fortis, J.-M. 2010, De l’hypothèse de Sapir-Whorf au prototype : Sources et genèse de la théorie d’Eleanor Rosch. Corela. Cognition, représentation, langage, p.3. https://doi.org/10.4000/corela.1243

  4. Licata L. et Heine A. 2012, Introduction à la psychologie interculturelle, éd. Deboeck, Bruxelles, p. 218

  5. In : Cuche D. 1996, La notion de culture dans les sciences sociales, éd. La découverte, Paris, p. 54

  6. Berry, J. W., Kim, U., Power, S., Young, M., & Bujaki, M. 1989, Acculturation Attitudes in Plural Societies. Applied Psychology, 38(2), p.186.

  7. Journet N. 2002, La culture : De l’universel au particulier, éd. Sciences Humaines,
    p. 217

  8. Plivard I. 2014, Psychologie interculturelle, éd. DE BOECK (1ère édition), Paris, p. 28

  9. James, W. 1903, La théorie de l’émotion, éd. Félix Alcan, p. 60

  10. Frijda, N. H. 1986, The emotions, éd. De la Maison des Sciences de l’Homme, p.544

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