La gouvernance de l’eau dans les oasis du Draa-Tafilalet (Cas de Mellab) : Une culture Amazigh Ancestrale

Enseignant-Vacataire à l’ESEF

Oujda, Maroc

Résumé

Cet article vient de mettre en question la gouvernance de l’eau qui constitue une culture amazighe ancestrale dans les oasis marocain (Drâa-Tafilalet). Ces espaces oasiens abritent encore une proportion importante de la population et pratiquent des activités consommatrices de l’eau. L’irrigation et sa gouvernance est un mode clé de mise en valeur pour les oasis (Khattaras, L'ombre du soleil, les canaux d’irrigation, les barrages de dérivation…). En effet, en plus de l’explosion démographique et la pression successive des activités économiques, les conditions climatiques et l’absence d’une stratégie de protection et de conservation des palmeraies ont engendré des dégradations sévères touchant en même temps les ressources en eau, le palmier et le paysage local. Pourtant, l’Oasis de Mellab est sérieusement menacé de dégradation sous l'action de plusieurs contraintes naturelles, à savoir la succession de périodes de sécheresse, l’immigration ou l’exode rural etc. Ces contraintes se conjuguent à une action destructive de l'homme pour sa survie sur un milieu fragile (surpâturage, arrachage anarchique de la végétation naturelle, pompage…). L’objet de cet article est de s’interroger sur l’ingéniosité de ce patrimoine, à partir le cas de l’oasis de Melleb, dont il met en question la valeur patrimoniale en mettant en lumière leur importance historique dans la relation des communautés oasiennes avec leur espace. En d'autres termes, il s'agit d'une introduction aux enjeux liés aux pratiques traditionnelles de gestion des ressources en eau, visant à stimuler la réflexion sur leur importance.

Introduction

« Les Oasis ! Le Sud ! Le Désert !

Mots magiques, mots prestigieux, évocateurs de pays mystérieux que l’imagination nimbe de beautés sublimes et enchanteresses. Il n’est pas un de nous que ces mots n’aient fait rêver, qui n’ait ressenti, à leur appel, un choc ou un éblouissement [1]» (Lehuraux1934).

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Fig. 1. Carte de la zone étudiée

Chaque territoire oasien est avant tout un lieu de vie, riche dans les domaines de l’architecture, de la gastronomie, des costumes, de l’artisanat et des arts populaires qui permettent de répondre aux besoins de la population oasienne. A l’état originel, il peut être une contrée perdue, désertée, et inexploitée, est demeure dans un état d’inertie économique, mais une fois pris en charge et aménagé à des fins économique et social, il devient alors à la fois sujet et objet et support de développement humain.

La prise de conscience de l’importance de l’eau par les communautés oasiennes, s’avère être le premier pas vers une gouvernance consciente. C’est pour cela, l’eau reste un élément constitutif de la vie. Elle est aujourd’hui un enjeu géostratégique majeur à l’échelle mondiale et alimente en ce sens, d’importants débat et discussions, tant au niveau politiques, économiques, et sociologiques…

Dans ce sens, les espaces oasiens sont considérés comme des réservoirs importants de toutes les formes du patrimoine matériel (kasbahs, ksour, greniers collectifs, gravures rupestres, parcs naturels et réserves de biosphère…) ou immatériel (chants, danses, techniques de gestion de l’eau des khettaras, de stockage des ressources et de gestion communautaire…etc.).

En effet, la problématique du développement de ces oasis reste conditionnée à une agriculture vivrière qui souffre énormément d’un phénomène de la sécheresse récurrente et de désertification, cette dernière constitue une contrainte préjudiciable à la mise en valeur agricole et une menace continue au développement de cette zone aride du territoire.

A cet effet, la question de l’eau est posée avec acuité dans l’espace oasien du Draa-Tafilalet depuis longtemps, en raison de la situation des oasis dans des régions marquées par la rareté des ressources en eau, considérées comme régions en stress hydrique. Dans ces milieux oasiens où le contexte climatique et hydrologique est plus sensible, en raison des irrégularités de disponibilité en eau dans le temps et dans l’espace, la gouvernance de l’eau revêt un caractère vital.

L’objet de cet article est de s’interroger sur l’ingéniosité de ce patrimoine, à partir le cas de l’oasis de Melleb, dont il met en question la valeur patrimoniale en mettant en lumière leur importance historique dans la relation des communautés oasiennes avec leur espace. En d’autres termes, il s’agit d’une introduction aux enjeux liés aux pratiques traditionnelles de gestion des ressources en eau, visant à stimuler la réflexion sur leur importance.

  1. Les Oasis, un système, une culture, un mode de communication en voie de régression ?

Une oasis est un espace crée par l’homme et entretenu par l’introduction des systèmes ingénieux de gestion technique et social des ressources en eau. Ce sont des écosystèmes patiemment élaborés sur une gestion parcimonieuse des ressources naturelles et construites sur l’optimisation des interactions entre les activités d’exploitation et la préservation du potentiel écologique extrêmement fragile dans un milieu hostile à la vie.

Au sens anthropologique, l’Homme oasien vise à utiliser au mieux les potentialités naturelles et les moyens de production disponibles (terre, eau). Bien que la plupart des oasis existent depuis plusieurs centaines d’années, par ailleurs, on observe que dans différentes régions du monde ces agroécosystèmes complexes sont en crise et en déclin (Dubost, 1988).

Pourtant, ces oasis[2] sont sérieusement menacées de dégradation sous l’action de plusieurs contraintes naturelles à savoir, la succession de périodes de sécheresse, la désertification sous ses différentes formes, le bayoud[3], etc. Ces contraintes se conjuguent à une action destructive de l’homme pour sa survie sur un milieu fragile (surpâturage, arrachage anarchique de la végétation naturelle, pompage…).

A cet effet, la rupture entre les référents du passé et les symboles de la vie contemporaine altèrent le paysage, affectent le milieu naturel et efface l’originalité des lieux. Ainsi, le territoire oasien est tiraillé entre des volontés contradictoires et des intérêts divergents. Il perd sa force, son fonctionnement, son harmonie et son identité. L’ordonnancement particulier des paysages de la palmeraie qui répondaient à des règles construites ingénieusement et en parfaire symbiose avec le milieu environnant se trouve actuellement souvent chamboulé jusqu’à générer des paysages chaotiques dont on ne peut plus cerner les origines et la cohérence.

De nos jours, de lourdes menaces pèsent sur les oasis du Draa-Tafilalet à tous les niveaux. Elles réunissent des contraintes environnementales de taille et des facteurs de dégradation y sont à l’œuvre sous l’effet d’un modèle du développement urbain inapproprié.

Partout le constat de crise est presque le même : la rareté des ressources en eau, l’érosion des terres agricoles, la dégradation des paysages naturels et culturels, la disparition des systèmes traditionnels d’irrigation, le dessèchement des palmiers dattiers, la désertification quasi-constante, la perte de la biodiversité, le déclin des productions locales et l’exode rural en sont quelques signes de disparition progressive des conditions favorables à l’exploitation des oasis. Les facteurs de dégradation sont physiques, liées essentiellement à la sécheresse et à la désertification, et anthropiques à cause des modes inadaptés de l’exploitation de l’environnement et de l’occupation du sol.

    1. Oasis : un espace architectural.

Les oasis contenaient un ensemble de patrimoine culturel constitué essentiellement d’une architecture vernaculaire en terre qui raconte l’histoire du peuplement des oasis. Ce patrimoine, témoin d’une civilisation profondément enracinée, reflète d’un processus ingénieux d’adaptation au milieu hostile. Les Ksour (iyrem en Tamazight), appellation locale des villages historiques, qui ont joué un rôle fondamental dans le rayonnement des oasis.

Peuplée par des sédentaires amazighs, le peuplement jouit d’une grande hétérogénéité d’éléments ethniques, de langages et de traditions et de mode de vie. L’habitat traditionnel des «Ksour » et des « Kasbah », avec une architecture et une structure urbaine dans la pure tradition constitue une richesse architecturale.

L’habitat traditionnel des oasis est l’œuvre collective d’une société solidaire, engagée dans une économie de subsistance, produisant par ses propres moyens en parfaite adaptation à son milieu. Son organisation urbaine et les techniques de construction utilisées sont le produit du génie oasien.

Le système d’irrigation, la gestion communautaire des palmeraies et des parcours traduisent une organisation socio-économique solidaire et manifeste un savoir-faire écologique et urbanistique unique de son genre élaboré au fil des âges afin de pouvoir exploiter le milieu semi-aride et de s’en protéger.

    1. Oasis : Une économie d’échange

Dans cette région oasienne, l’économie traditionnelle est confrontée à des perturbations profondes qui risquent de la désorganiser. Les habitants abandonnent progressivement le mode de vie qui, pendant des générations, leur avait permis de subsister grâce à l’économie de troc. Ils délaissent de plus en plus le travail de la terre pour rechercher dans les villes des emplois mieux rémunérés mais moins stables, avec le risque de se retrouver un jour confrontés au chômage, une réalité à laquelle ils ne pourront se résigner qu’avec une grande dose de philosophie.

Une oasis est caractérisée par une palmeraie où se développent des cultures vivrières. On y trouve des céréales, des légumes (oignons, carottes, navets, courges, piments, tomates et pommes de terre), des cultures fourragères (comme la luzerne), ainsi qu’une arboriculture diversifiée comprenant des olives, des abricots, des figues, des amandes et des pommes. L’ensemble est dominé par le palmier dattier.

L’économie dans cette oasis repose essentiellement sur une culture de subsistance extrêmement importante, l’exploitation des dattes (Majhoul, Boufgous, Khalt, Bouslikhen…) représentent un aliment de base pour les populations et jouent un rôle important dans l’économie locale.

La culture du palmier dattier prospère dans des zones caractérisées par des températures élevées et une grande luminosité, cette dernière étant essentielle pour une production optimale de dattes. Il est observé que les palmiers les mieux exposés à la lumière sont systématiquement les plus productifs en fruits. Toutefois, la durabilité de l’économie oasienne est menacée par plusieurs facteurs conjoints, tels que la pénurie d’eau, la maladie du Bayoud, les changements climatiques et l’exode rural, entre autres.

Aujourd’hui, la communauté oasienne de Mellab est dissociée entre plusieurs pôles d’activité dans le terroir même et au-delà, par les migrations, à la recherche d’autres moyens de subsistance. La situation actuelle de cette oasis présente un caractère de repli, d’inertie, de crise qui se manifeste par le tarissement des Khattaras, des canaux d’irrigation, mutations économiques et des changements sociaux.

  1. La gouvernance de l’eau dans les oasis de Mellab : entre tradition et modernité

«L’homme vit dans plusieurs dimensions. Il se meut dans l’espace, où le milieu naturel exerce une influence constante sur lui. Il existe dans le temps, qui lui donne un passé historique et le sentiment de l’avenir. Il poursuit ses activités au sein d’une société dont il fait partie et il s’identifie avec les autres membres de son groupe pour coopérer avec eux à son maintien et à sa continuité.»[4]

L’histoire de la maîtrise de l’eau par les autochtones de la région s’ingénient pour dériver, puiser, utiliser et répartir au mieux cette eau. Or, cette ressource indispensable devient de moins en moins disponible. Plus récemment, les transformations économiques et l’introduction de nouvelles techniques ont aggravé le problème de l’eau.

La gouvernance de l’eau dans l’espace oasien est en effet significative d’une problématique d’ensemble qui concerne les modalités de régulation d’une ressource cruciale. Par ailleurs, les transformations dans les modes de vie, la sédentarisation et l’urbanisation de milieux oasiens ont fait évoluer de façon manifeste la place de cette ressource dans le système économique et social.

A cet effet, l’Homme oasien dans ce milieu hostile, a réussi à développer des savoir-faire et des formes d’adaptation aux effets des phénomènes naturels extrêmes. En créant des relations de complémentarité avec le mode de vie nomade, le système de vie oasien, forgé autour des zones de concentration d’humidité, représente une impressionnante symbiose durable entre l’Homme et la nature dans ces milieux difficiles[5].

Actuellement, l’eau est encore gérée de manière traditionnelle. L’accès est gratuit pour les bénéficiaires des droits d’eau. L’irrigation des parcelles se fait à partir d’un réseau de seguias et au moyen de bassins d’accumulation (Tanutfi).

    1. Le réseau hydraulique et technique d’acquisition

L’irrigation se fait par la mobilisation des eaux souterraines ou de surface en dérivant une partie ou la totalité des cours d’eau avec des techniques traditionnelles composées de trois unités importantes qu’on nous aurons cités :

2.1.1 Barrage de dérivation/ Uggug : (pl. Uggugn)

Un barrage de dérivation est une structure conçue pour orienter l’eau lors des crues vers une seguia qui alimente les champs de culture. Ce barrage ne dirige qu’une partie des eaux de l’oued selon un système d’irrigation spécifique. Les eaux ainsi dérivées peuvent être utilisées pour irriguer les palmeraies et jouent un rôle crucial dans la recharge de la nappe phréatique. Les paysans de ces régions ont établi des règles coutumières, appelées izerfan n waman, pour réguler la gestion et l’accès à l’eau.

      1. Les canaux d’irrigation [6]:

La distribution de l’eau à l’oasis de Mellab est assurée par un réseau de canaux communs reliant aux parcelles irriguées. Les séguias sont creusées selon un schéma imposé et les règles socio-spatiales entre l’amont et l’aval, comme le droit de passage, l’union entre un ksar de l’amont avec un de l’aval pour défendre les intérêts de l’un et de l’autre, surtout l’eau et la sécurité. Les séguias principales, depuis la prise d’eau sur l’oued, s’éloignent de lui pour devenir presque parallèles et se répartir après en petites séguias dans le sens de l’oued.

Pour éviter les pertes par infiltration et par évaporation, les canaux d’amenée en tête des secteurs d’irrigation doivent être étanches et couverts. Quand l’eau arrive sous pression, les rampes de distribution avec pots californiens sont à préconiser ; dans tous les cas, chercher à réaliser l’irrigation des planches à palmiers dans le sens perpendiculaire à la plus grande pente du terrain.

      1. Khettara : mémoire de l’oasis

La khettara[7] est «une technique de caractère minier qui consiste à exploiter des nappes d’eau souterraine au moyen de galeries drainantes»[8].

Ce système de mobilisation de l’eau souterraine dans les milieux oasiens et arides, illustrent le génie des oasiens sans nécessité de force mécanique. Cette technique reste un élément indissociable du patrimoine socioculturel des oasis. Simple, efficace, écologique et économique, ce système ancestral présente, malgré son ancienneté, un intérêt particulier par rapport aux exigences actuelles en matière de développement durable.

Le système de gestion traditionnel des khettaras, autrefois solidement ancré dans les lois coutumières connues sous le nom de « droits d’eau », « izerfan n waman » stipulait la répartition des charges et des obligations de fourniture de services. Aujourd’hui, cette méthode traditionnelle d’entretien est menacée par la désertification et l’exode rural.

En structure et en fonction, la khettara est composée généralement de cinq sections qui sont comme les suivantes[9] :

• Section 1 : Il s’agit de la galerie de captage et de la zone de recharge de la nappe, correspondant à la partie de captage d’eau de la khettara.

• Section 2 : Cette section correspond à la galerie adductrice de la khettara, une galerie souterraine dont la profondeur varie généralement de 2 à 10 mètres, atteignant parfois 18 mètres. Lorsqu’elle est peu profonde (4 à 5 mètres), elle se compose d’une tranchée ouverte, réalisée en maçonnerie ou en béton.

• Section 3 : Il s’agit du canal d’eau recouvert, qui s’étend depuis le débouché en canal jusqu’à l’agglomération.

• Section 4 : Cette section désigne le lieu de prélèvement de l’eau potable et domestique (Asagm).

• Section 5 : Il s’agit du réseau de canaux d’irrigation.

Il est a signalé que plusieurs khettara ont tari, seules quelques-uns ont résistés aux aléas climatiques et à l’action humaine qui se manifeste par l’installation des motopompes individuelles et la création des nouvelles entreprises hors des périmètres irrigués traditionnels, a affaibli le système de gestion collectif traditionnel de l’eau.

Ce patrimoine socioculturel s’éteint et doit être préservé et mis en valeur. Aujourd’hui les khettaras ne sont plus construites mais les anciennes galeries peuvent être réhabilitées et entretenues pour redevenir actives.

      1. Oughrour :

L’homme oasien a mis à sa disposition aussi une autre technique d’irrigation individuelle ou collective qui consiste à élever l’eau peu profonde par le recours à l’utilisation de l’énergie animale ou humaine.

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fig.2 Puits de type ancien, ughrur à Taous, dans le Tafilalet. L’eau remontée dans une outre par traction animale ou humaine est déversée dans la séguia d’irrigation 1950. © Anonyme (Protectorat du Maroc – Archives de la Résidence générale)

L’eau puisée est accumulée dans un bassin de réception à partir duquel elle est directement amenée par des rigoles vers les parcelles à irriguer. Cette technique est utilisée pendant les périodes de sécheresse. Celle-ci est totalement disparue. Aujourd’hui les Oughrour ne sont plus utilisées à Mellab. Certains des puits qu’elles exploitaient ont été équipés par des motopompes

    1. Gestion de l’eau d’irrigation

L’existence de l’espace oasien est liée à l’eau qui représente un bien sacré, à la technologie de captage et aux pratiques de sa distribution dans le temps et dans l’espace. Les pratiques sociaux, la répartition entre les ayants droit et la gestion de l’eau font l’originalité et du l’ingéniosité des autochtones de l’espace oasien.

La gestion de l’eau en tant que pièce maîtresse du système, demeure donc au centre des préoccupations des oasiens. Le site des oasis entre les immenses espaces dénudés, donne à l’eau d’irrigation sa juste valeur, surtout dans cette région.

      1. L’ombre du soleil :

L’ombre (Amalo en Tamazight, pl. Imoula) que le soleil marque au long de la journée sur un mur qui entoure le Ksar pour distribuer l’eau aux ayants droit. Actuellement la montre a remplacée tous les systèmes traditionnels de la gouvernance d’eau.

      1. Tannaste

C’est un vase en cuivre troué qu’on pose sur l’eau pour se remplir, les eaux étaient distribuées selon des quotas bien définis en utilisant cette technique géniale. C’est un jeu de deux récipients en bronze (un seau et une tasse percée d’un orifice très fin). La tasse est déposée sur la surface d’eau que contient le seau. L’eau s’infiltre alors dans la première qui s’écoule après remplissage et tombe au fond du seau.

Pendant chaque irrigation, la communauté a besoin de quelqu’un qui va calculer le nombre des Tanasines, cette personne est appelé par les gens des oasis « bu-tanast» qui veut dire «le gardien de Tanast». Le gardien reste surveiller, lorsque Tanast[10] se coule au fond de bassin le gardien la maitre à zéro, c’est à dire la vider d’eau qui est entré par le petit trou de fond, et la maitre à nouveau dans le bassin et tenir un nœud à la fibre de palmier pour qu’il n’oublie pas le nombre de Tanasine comptabilisé.

La personne qui s’en charge par les habitants, ce personnage est appelé chez les Aït Atta «Amazzal, pluriel imazzalen», du verbe azzel, courir, coureur, nommé par la communauté pour assurer la gestion de l’eau et le réseau de distribution.

Autrement dit, les oasiens ont bien arrivés à protéger et organiser leur société. Même s’ils n’ont pas un niveau scolaire, ils ont créés plusieurs techniques qui leurs garantissant la gestion d’une société bien organisée dans la distribution de l’eau.

  1. Les dynamiques sociales et institutionnelles des oasis.

Dans cette région oasienne, où les précipitations sont extrêmement rares, les habitants font face à un manque d’eau récurrent. Il est presque impossible de cultiver la terre sans recourir à un système d’irrigation précis pour satisfaire les besoins des exploitants. Ainsi, les communautés oasiennes ont développé un système innovant de répartition de l’eau pour répondre à ces défis.

Au sein de cette oasis, les conflits naissent souvent, du fait de la rareté de l’eau, les gens de l’aval demandent alors à ceux de l’amont de lâcher un peu d’eau même si ces derniers sont prioritaires. Il existe alors plusieurs manières de résoudre les conflits potentiels. Cette manière de régler les conflits est devenue très rare mais les vestiges historiques témoignent de son importance dans le passé.

Parmi ces institutions, nous pouvons citer l’institution de « Ljmaât » qui est une assemblée sociale ancestrale. Cette structure jouit un rôle politique, économique et juridique pour garantir la cohésion sociale, la solidarité entre les membres d’oasis. Elle veille ainsi sur l’exploitation et la valorisation des ressources d’une façon à en faire profiter durablement toute la communauté oasienne. En effet, cette structure qui a pour fonction d’ordonner le désordre apparent dans l’oasis et de concilier les intérêts divers des membres concernés.

Néanmoins, bien que ses pouvoirs paraissent exorbitants, la Ljemaɛt n’impose rien par la force. Ses membres, dotés de patience, de diplomatie et de profondes connaissances sur la psychologie de leur milieu socioculturel, n’agissent jamais avec précipitation ni de manière à froisser, par ses décisions, les sentiments d’un membre de la communauté. Ils visent à parvenir à un accord accepté par les différents partis. Dans les litiges civils, la Ljemaɛt intervient à la demande des parties ou si celles-ci n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le choix d’un arbitre (anzzarfu).

Ainsi lors des sécheresses intenses les oasiens se collaborent entre eux dans un climat de confiance et de solidarité « Tiwiza» pour la réalisation de travaux d’intérêt collectif (l’entretien des Khettars) pour organiser d’une façon méticuleuse la vie agricole. Il faut

savoir que lors de la twiza, ce sont les jeunes qui participaient, au nom des pères, à l’entraide collective.

Nous pouvons dire que l’Homme des oasis a abrité des techniques juridiques, sociales et politiques adaptée à son milieu pour gérer leurs affaires oasiennes.

  1. Crise de l’eau ou Crise de gouvernance : Vers de nouvelles alternatives ?

Pendant longtemps les systèmes de gestion de l’eau dans les oasis sont présentés comme une véritable leçon de l’histoire en matière d’ingéniosité technique, de rationalité d’utilisation de l’eau, d’égalitarisme d’accès à la ressource et d’adaptation à la rareté voire à la pénurie de l’eau.

Mais d’après nos investigations nous avons observé que les systèmes en question connaissent en réalité une érosion par l’abondance des conflits, remettant en cause les règles instaurées dans un ordre social et dans un état de rapports de force appartenant au passé mais qui viennent se mêler de façon prégnante à la situation actuelle. Cette érosion interne est aggravée par l’avènement de changements globaux influençant directement ou indirectement ces systèmes : phénomène naturels extrêmes de plus en plus fréquents, évolution techniques, etc.

Aujourd’hui, l’oasis de Mellab est confrontée à un déclin significatif, et les impacts de sa dégradation causée par l’avancée de la désertification sont importants. Il est crucial de saisir l’enjeu à sa juste mesure, il ne suffit pas d’adopter quelques mesures pour pallier les déficits environnementaux locaux. Il est nécessaire de lancer un programme intégré et ambitieux, impliquant tous les acteurs du développement, afin d’améliorer le niveau de vie de la population tout en préservant les ressources naturelles.

Si des efforts louables et importants en matière de recherche et de mobilisation des ressources en eau ont été déployés depuis plusieurs décennies pour permettre l’essor actuel, il n’en demeure pas moins que l’équilibre ressource/demande en eau reste très précaire. Il a été d’avantage fragilisé par la sécheresse de plus en plus sévère que connaît la région.

La combinaison des effets de la sécheresse avec le pompage excessif, souvent mal régulé, a conduit à une surexploitation sévère des ressources en eau souterraine, l’une des plus importantes du pays. À ce rythme, cette surexploitation menace de compromettre le développement de la région. Parmi les entraves du développement, il y a lieu de signaler, l’absence d’une approche territoriale, qui met en valeur tous les richesses naturelles, humaines, et socioculturelles de cette région, ce n’est pas le moment de s’accrocher à des mirages. Il est le temps de construire un avenir réel et tangible pour tous les oasiens.

L’oasis de Mellab est, à l’instar de celles des autres régions, confrontées aujourd’hui à plusieurs crises, les menaçant jusque dans leur existence.

  • La crise de l’eau, causée par les dégradations climatiques et le pompage intensif de la nappe phréatique, entraîne l’épuisement de cette ressource et l’abandon de centaines d’hectares de palmeraie.
  • La crise du palmier, causée par le vieillissement des plants et des pratiques de culture peu optimisées, conduit à des productions médiocres, aggravées par la présence du Bayoud.
  • L’agriculture oasienne a récemment été réorientée vers de nouvelles productions qui se sont vite exploités la nappe phréatique avec une agriculture consommatrice de l’eau ce qui a contribué à l’assèchement des puits, au point que les populations des villages avoisinants ont dû s’approvisionner pendant tout l’été via des camions citernes.
  • La crise sociale, avec la disparition du système basé jadis sur la gestion communautaire des ressources, la culture participative, la discipline et la solidarité, au profit de l’individualisme apporté par la modernité, le développement démographique brutal.
  • La crise territoriale, où l’oasis abandonnée n’est plus en mesure d’assurer son rôle ancestral de préservation de richesses patrimoniales, matérielles et immatérielles d’un espace beaucoup plus grand que son périmètre géographique. Les oasis se voient aujourd’hui en plein dynamiques et transformations. Ces dynamiques risquent de provoquer des dysfonctionnements dans les systèmes socio-économique, écologique et territoriale que connaissent ces oasis. Quelques soient les causes et la nature de ces mutations, le problème qui se posera dans le future c’est le déficit hydrique dans ces zones.

A cette fin, il est fortement recommandable de :

  • il faut que les autorités locales pensent à l’avenir de ces oasis avec la construction des barrages. La construction de ces projets permettrait la recharge de la nappe phréatique,
  • Mettre en place une véritable approche territoriale pour la région,
  • préparer un plan de réhabilitation des khettara par des révisions régulières inventoriées sous forme de base de données.
  • rendre publique toute initiative en matière d’utilisation d’eau, d’irrigation ou de formation par des manuels et les distribuer aux agriculteurs pour promouvoir leur savoir.
  • Remplacer la technique d’irrigation par submersion, le recours au système goutte à goutte.

Conclusion

Orphelins nous le serons de toute façon un jour, mais ce que nous garderons jusqu’au dernier souffle, c’est d’où l’on vient, ce que l’on a laissé, ce que l’on aura pu y apprendre, ce que l’on a su protéger, parce que nous avons reçu don de tout cela.

Si les oasis se définissent autour de l’eau et des palmeraies, aujourd’hui leur définition doit prendre également en compte des déformations, des ruptures et des tensions. Elles sont tiraillées entre des volontés contradictoires et la rupture entre les signes du passé et les symboles de la modernité affectent les oasis de Drâa-Tafilalet.

C’est pour cela, la création d’un musée dans cette Oasis permet de donner une image emblématique correspondant à un lieu où l’artisanat serait reconnu de tout temps à travers l’usage de l’histoire utilisée comme moyen justifiant une originalité locale. Il favorise également l’assise d’une image historique, culturelle et identitaire, par appropriation du patrimoine culturel hydraulique par l’ensemble de la population locale, en soulevant les particularités du cette région. Ainsi, les politiques patrimoniales associées aux politiques touristiques font de cette région une curiosité locale rendue attractive, assurant ainsi son développement économique.

Vue sous cet angle, nous pouvons dire que la gestion de cette ressource qu’est l’eau nous a paru comme le facteur structurant de la dynamique territoriale, sociétale et environnementale dans l’oasis de Mellab à Drâa-Tafilalet. La valorisation de ce patrimoine contribue à une meilleure connaissance de l’autre et favorise le maintien de l’équilibre social nécessaire au développement harmonieux des oasis marocaines.

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-IDEM, (2003), « Rapport d’activité sur l’impact des changements climatiques et anthropiques sur les ressources en eau dans l’oasis de Ferkla (Tinejdad, Errachidia, Maroc) ». 26pp. Bourse pour les jeunes chercheurs scientifiques. MAB& UNESCO.

– IDEM, (2004)., « Contribution à la connaissance, la préservation et la valorisation des Oasis du Sud marocain : cas de Tafilalt ». Thèse d’habilitation universitaire, Facultés des Sciences et Techniques, Errachidia, Université My Ismaïl, Maroc, 280 pp.

– Khardi A. (2003). « Aperçu des problèmes d’environnement pour l’agriculture oasienne ». Revue Homme terre et eau. N° 127.

– Lehuraux, L. (1934)., Le Sahara, Ses oasis, Alger, Éditions Baconnier.

– MEZZINE L., (1987)., « Le Tafilalet. Contribution à l’histoire du Maroc aux XVIIe et XVIIIe siècles », Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines. Série Thèses, Rabat.

– Ouhajou Lakbir, Jadaoui Mohamed et El Mahdad El Hassane, (2017)., « La gestion de l’eau et le changement climatique dans les oasis marocaines », Hespéris-Tamuda LII (1) 193-218, P.194

– Pérennès, J.-J. (1993)., « L’eau et les hommes au Maghreb : Contribution à une politique de l’eau en Méditerranée ». Paris : Karthala.

– SADKI (A.), (1995)., « Une cité oasienne du Ghéris, Ksar Ait Yahia O’athmane : étude historique, architecturale et archéologique », Mémoire de fin d’études, INSAP, Rabat.

– IDEM, (2003)., « Urbanisme et conservation du patrimoine culturel présaharien : le cas des Ksour du Tafilalet (Sud-est Marocain) », Mémoire de troisième cycle en Aménagement et Urbanisme, Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme, Rabat, Juillet 2003.

  1. Lehuraux, L. Le Sahara, Ses oasis, Alger, Éditions Baconnier, 1934

  2. Les oasis de Drâa-Tafilalet sont des principales oasis de Sud Marocain qui font parties de l’aire désignée par l’UNESCO de Réserve de la Biosphère des Oasis de Sud marocain (RBOSM).

  3. C’est une maladie vasculaire occasionnée par un champignon du sol dont elle pénètre dans les palmiers dattiers par les racines, chemine dans les vaisseaux du stipe et atteint la couronne foliaire.

  4. Melville HERSKOVITS, Les bases de l’anthropologie culturelle. Paris : François Maspero, 1967, p5.

  5. Lakbir Ouhajou, Mohamed Jadaoui et El Hassane El Mahdad, La gestion de l’eau et le changement climatique dans les oasis marocaines, Hespéris-Tamuda LII (1) (2017) 193-218, P.194

  6. Tirrgguines : Targa au singulier, mot amazigh qui signifie séguias en arabe. Ce sont des canaux d’irrigation

  7. Les khettaras possèdent plusieurs appellations selon les pays. Elles existent dans plus de 30 pays dans le monde (Maroc, Espagne, Algérie, Yémen, Iran, etc.), ce qui témoigne l’universalité de cette technique.

  8. Pérennès, J.-J. (1993). L’eau et les hommes au Maghreb : Contribution à une politique de l’eau en Méditerranée. Paris : Karthala. P.97

  9. KABIRI L., (2003). Rapport d’activité sur l’impact des changements climatiques et anthropiques sur les ressources en eau dans l’oasis de Ferkla (Tinejdad, Errachidia, Maroc). 26pp. Bourse pour les jeunes chercheurs scientifiques. MAB& UNESCO.

  10. Il est appelé Kharrouba à Figuig.

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  1. Lehuraux, L. Le Sahara, Ses oasis, Alger, Éditions Baconnier, 1934

  2. Les oasis de Drâa-Tafilalet sont des principales oasis de Sud Marocain qui font parties de l’aire désignée par l’UNESCO de Réserve de la Biosphère des Oasis de Sud marocain (RBOSM).

  3. C’est une maladie vasculaire occasionnée par un champignon du sol dont elle pénètre dans les palmiers dattiers par les racines, chemine dans les vaisseaux du stipe et atteint la couronne foliaire.

  4. Melville HERSKOVITS, Les bases de l’anthropologie culturelle. Paris : François Maspero, 1967, p5.

  5. Lakbir Ouhajou, Mohamed Jadaoui et El Hassane El Mahdad, La gestion de l’eau et le changement climatique dans les oasis marocaines, Hespéris-Tamuda LII (1) (2017) 193-218, P.194

  6. Tirrgguines : Targa au singulier, mot amazigh qui signifie séguias en arabe. Ce sont des canaux d’irrigation

  7. Les khettaras possèdent plusieurs appellations selon les pays. Elles existent dans plus de 30 pays dans le monde (Maroc, Espagne, Algérie, Yémen, Iran, etc.), ce qui témoigne l’universalité de cette technique.

  8. Pérennès, J.-J. (1993). L’eau et les hommes au Maghreb : Contribution à une politique de l’eau en Méditerranée. Paris : Karthala. P.97

  9. KABIRI L., (2003). Rapport d’activité sur l’impact des changements climatiques et anthropiques sur les ressources en eau dans l’oasis de Ferkla (Tinejdad, Errachidia, Maroc). 26pp. Bourse pour les jeunes chercheurs scientifiques. MAB& UNESCO.

  10. Il est appelé Kharrouba à Figuig.

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